Les femmes dans l’insurrection du sud de septembre 1870

par | Août 6, 2021 | Féminisme

Les femmes jouent un rôle fondamental dans les événements de septembre 1870.

Quel est le profil des femmes insurgées ?

• Âge : elles sont jeunes, la majorité d’entre elles entre 17 et 27 ans

• Origine : elles sont filles d’affranchis, ouvrières agricoles, citoyennes libres, nées de parents ex esclavisés

• Profession: elles sont cultivatrices, couturières, lavandières, blanchisseuses, marchandes…

• Mobilité :elles circulent énormément dans les campagnes, à pied

Quel est leur rôle dans l’insurrection ?

• Avant : elles transmettent les informations partout dans les campagnes, font signer des pétitions et organisent des sousou pour la libération de Lubin.

• Pendant : la révolte, elles fabriquent des bouteilles d’eau pigmentées, sont en 1ère ligne pour les lancer et aveugler les soldats, fabriquer des torches enflammées, accumuler des cailloux à lancer contre les soldats, incendier les cases à bagasse, organiser les pillages des maisons de maître, participer au tour de garde, s’occuper de l’intendance…

Que retenir ?

• Elles étaient très nombreuses parmi les 500 insurgé·es arrêté·es et emprisonné·es. Seules 15 femmes sur les 114 inculpé·es.

• La détermination de ces femmes, leur esprit de solidarité, leur courage et leur persévérance.

La vie de Marie-Philomène Roptus dite Lumina Sophie dite Surprise
(1848-1879)

Lumina Sophie dite Surprise naît le 5 novembre 1848, juste après l’abolition de l’esclavage, à l’habitation La Broue au Vauclin en Martinique. Elle est enregistrée à l’état civil sous le nom de Marie-Philomène Sophie, fille de Marie Sophie dite Zulma. Peu après, Roptus sera le patronyme donné à sa mère et à elle-même.

La petite enfance de Surprise se déroule à l’habitation La Broue, où se met en place la nouvelle vie des nouveaux libres à partir du second semestre de l’année 1848, avec les contrats d’association qui laisse en jouissance aux travailleurs les cases et un petit lopin de terre.

La famille de la petite fille est majoritairement composée de femmes et sa grand mère, Reine Sophie veille à la gestion du « jaden bò kay » où s’activent sa mère et ses tantes pendant que les hommes dans le « jaden nèg » se donnent à la culture des gros légumes de caféiers, cacaoyers et de bananiers.

A la mort de sa grand-mère, la famille se disperse et c’est la rupture avec la famille élargie. Surprise a 6 ans.

 Zulma sa mère se retrouve à la tête d’une famille monoparentale qu’elle installe sur l’habitation Champfleury entre Vauclin et Rivière Pilote. Zulma a plusieurs cordes à son arc. Elle est couturière, cultivatrice, marchande mais aussi journalière sur les habitations voisines. Surprise, apprend la couture, accompagne sa mère au marché, et lors des récoltes, de la canne à sucre et du café.  Elle fait ainsi l’apprentissage des conditions de vie des ouvriers et des paysans.

Au début de l’année 1870, Surprise a 21 ans, résistante et dotée d’une forte personnalité. C’est une jeune femme autonome qui a gardé le contact avec le « pays sucrier » où elle est journalière par moments, vendeuse sur les marchés du hameau de Josseaud et du bourg de Rivière Pilote. Elle fréquente les artisans du bourg, cultivatrice et couturière rurale elle partage l’amertume des paysans des mornes. Son concubinage avec Emile Sidney, issu d’une famille de libres de couleur d’avant l’abolition de l’esclavage, contribue à lui donner  un regard averti sur le quotidien des populations rurales, imposées inéquitablement, méprisées et écartées de l’instruction.

En 1870, Léopold Lubin, un noir du Marin, membre d’une famille d’entrepreneurs de travaux publics est lourdement condamné dans une affaire l’opposant à Augier de Maintenon, jeune européen, commissaire de marine et chef de service au bourg du Marin. Un mouvement de solidarité active à laquelle s’associe Lumina se développe. 

A cette affaire s’ajoute « l’affaire Codé ». Codé est un béké, propriétaire de l’habitation La Mauny, auteur d’un drapeau blanc hissé en nostalgie des temps esclavagistes, membre du jury d’assises dans l’affaire Lubin qu’il se vante publiquement d’avoir fait condamner. Les habitants des campagnes sont en colère contre les provocations de Codé et de l’injustice faite à Lubin. Lumina est solidaire du mécontentement populaire.

En septembre 1870, sur la place du marché de Rivière Pilote, on l’a retrouve avec les autres manifestants·es, hurlant la libération de Lubin. Le 22 septembre, la  population du Sud de la Martinique et notamment celle de Rivière Pilote se soulève. Lumina fait partie des insurgés·es. Elle est enceinte de deux mois. Elle participe à la marche vers La Mauny avec « l’armée » de Telga. L’insurrection est rapidement vaincue et Lumina est arrêtée le 26 septembre 1870 à Régale, sur l’Habitation Eugène Lacaille, et sera incarcérée au Fort Desaix.

Plusieurs chefs d’accusation sont retenus contre elle. Son premier procès se tiendra du 17 mars au 17 avril, on l’a présente comme une femme qui cherche à dominer les hommes.  Le  gouverneur de l’époque l’identifie comme la « flamme de la révolte », les témoins à charge parle de la «  reine de la compagnie, la  plus féroce, la plus terrible des chefs de bande, la maniaque de l’incendie… » Malgré sa présence, dans les événements de Rivière Pilote, on ne retient pas contre elle l’accusation de complot, ni le commandement de troupes armées. Elle est relaxée le 17 avril de ce chef d’accusation mais d’autres charges pèsent sur elle.

Le 28 avril 1871, elle accouche à la prison centrale de Fort de France, d’un garçon  que l’administration pénitentiaire nomme Théodore Lumina. L’enfant est immédiatement  séparé de sa mère.

Le 2e procès de Lumina se déroulera du 22 mai au 8 juin 1871. Elle sera  punie, pour révolte contre l’aristocratie des planteurs, pour blasphème, pour avoir menacé les hommes et pour vouloir les dominer, pour avoir mis le feu à 3 habitations.

Le 8 juin 1871, Lumina est condamnée aux travaux forcés à perpétuité pour incendies et participation active à l’insurrection.

Lumina Sophie arrive au bagne de Saint Laurent du Maroni en Guyane, le 22 décembre 1871. Son fils, Théodore meurt à 14 mois, à la prison de Fort de France, le 10 juillet 1872.

Elle est contrainte d’épouser 7 ans après, le 4 août 1877, Marie Léon Joseph Félix un bagnard, un  paysan originaire du nord de la France. Elle meurt d’épuisement, de maladie et de mauvais traitements, le 15 décembre 1879 à Saint Laurent du Maroni. Elle est alors âgée de 31 ans.

Quelques femmes actrices de l’Insurrection du Sud de 1870 :

• Madeleine Clem : 39 ans, libre avant 1848 – Elle reconnaît Codé le 24 septembre à Morne Vent.- Dotée d’une grande énergie, elle s’évade de prison. Condamnée à mort par contumace.

• Lumina Sophie dite « Surprise » : (19 ans) 23 ans, couturière, née au Vauclin, enceinte de 2 mois en 1870 – Travaux forcés à perpétuité pour incendies.

• Astérie Boissonnet :  21 ans, cultivatrice, travaux forcés à perpétuité pour incendie.

• Rosanie Soleil : 27 ans, couturière, aurait proposé de « saler  Codé comme  un cochon  » 5 ans de prison.

• Maria Bouchon : ignorant son âge, cultivatrice – 20 ans de travaux forcés.

• Robertine Geneviève : 21 ans, cultivatrice – 10 ans de travaux forcés pour incendies et pillages.

• Hortensia Chalon : ne sait pas son âge, domestique – 15 ans de travaux forcés pour incendies et pillages.

• Adèle Négrant :fournit les allumettes chimiques aux incendiaires –  Travaux forcés à perpétuité, par contumace.

• Dame Jean-Louis Camille Cyrille : 32 ans, cultivatrice, 20 ans de travaux forcés pour incendies.

• Aline Ménage : 28 ans, cultivatrice – 10 ans travaux forcés pour incendies et pillages.

• Malvina Sylvain : 21 ans, cultivatrice – 10 ans de travaux forcés.

• Adèle Frémont : ignorant son âge, cultivatrice – 5 ans de travaux forcés.

• Chériette Chérubin : 17 ans, couturière – 2 ans de prison, 200 francs d’amende.

• Louisine née Chérubin : 23 ans, couturière – 2 ans de prison, 200 francs d’amende.

• Sylvanie Sylvain : 23 ans, couturière – acquittée.

• Morigène Lacaille : accusée d’avoir ouvert et lu la lettre du Gouverneur.

• Marie Rivière 18 ans.

• Marie Louise 17 ans.

• Cléria Rivière 16 ans.

• Marie Finoli dite Capresse 19 ans.

• Marie-Claire Rivière.

• Mazoune 20 ans.

• Amanthe Jean-Marie 23 ans.

• Antoinette Michel 22 ans.

• Henriette Boisson 21 ans.

L’association Oliwon Lakarayib a consacré 3 vidéos à cette thématique :

OLIWON LAKARAYIB -1/3 – Après 1848, la vie quotidienne des “nouveaux libres” a-t-elle changé ?

OLIWON LAKARAYIB – 2/3 – L’insurrection du Sud en Martinique : le cri des mornes ?

OLIWON LAKARAYIB – 3/3 – L’insurrection du Sud de 1870, et après ?

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